24/10/2025

Partage des biens en divorce : comment le tribunal familial procède-t-il ?

Le cadre juridique du partage des biens lors d’un divorce

Le partage des biens lors d’un divorce est une étape déterminante pour les ex-conjoints, qu’ils soient mariés sous un régime de communauté ou de séparation. La procédure varie selon le régime matrimonial choisi lors de l’union, mais l’enjeu central reste le même : répartir équitablement le patrimoine, en application des principes posés par le Code civil (voir articles 815 et suivants).

Les différents régimes matrimoniaux

  • La communauté réduite aux acquêts : c’est le régime légal, appliqué en l’absence de contrat. Sont considérés comme communs tous les biens acquis durant le mariage, à l’exception des biens possédés avant l’union ou reçus par héritage/donation.
  • Le régime de séparation de biens : chaque époux reste propriétaire de ses biens personnels, qu’ils aient été acquis avant ou pendant le mariage. Seuls les biens acquis ensemble sont en indivision.
  • La communauté universelle : Tous les biens, présents et à venir, des deux époux, sont communs (hors clauses spécifiques).

La phase amiable : la préférence donnée à l’accord

Avant d’envisager une intervention judiciaire, la loi privilégie un partage amiable. Selon la Chancellerie, 71% des divorces se concluent par consentement mutuel en 2023 (Ministère de la Justice, statistiques 2023).

  • En cas d’accord, les époux établissent une convention de partage, souvent rédigée par un notaire.
  • Cette convention est ensuite homologuée par le juge lors du prononcé du divorce (ou, depuis 2017, enregistrée chez un notaire si divorce par consentement mutuel sans juge).
  • Les accords peuvent porter sur la maison, l’épargne, les crédits, la répartition des dettes ou encore les véhicules.

Le rôle du notaire y est essentiel pour :

  • Rappeler les conséquences fiscales (droits de partage : 1,1% du montant partagé en 2024, source service-public.fr),
  • S’assurer de la bonne égalité du partage,
  • Vérifier les titres de propriété.

En l’absence d’accord : l’intervention du juge aux affaires familiales (JAF)

L’échec de la procédure amiable entraîne l’intervention du tribunal familial. Le Juge aux affaires familiales (JAF) tranche alors les litiges selon plusieurs étapes clairement définies.

1. Évaluation du patrimoine commun et individuel

La liste exacte des biens composant la masse à partager est dressée, en distinguant :

  • Les biens propres à chaque époux,
  • Les biens communs ou indivis,
  • Les dettes à répartir.

Le JAF requiert généralement l’établissement d’un état liquidatif, une sorte de « photographie » du patrimoine réalisée par un notaire. Ce document recense tous les biens (maison, meubles, épargne, assurance vie, dettes, crédits).

Exemple : Si un couple possède une maison valant 300 000 €, un véhicule estimé à 8 000 €, une épargne de 20 000 €, le tout financé en partie par un prêt immobilier restant de 120 000 €, le notaire recense et valorise chaque élément.

À cette étape, des expertises peuvent être ordonnées (par exemple, lorsqu’il y a désaccord sur la valeur d’un bien immobilier).

2. Le débat sur la répartition

Une fois la consistance du patrimoine fixée, le juge vérifie l’origine des biens. Il tient compte des preuves apportées par chacun (actes notariés, relevés bancaires, registres d’assurance…).

  • Si l’un des conjoints estime avoir contribué de manière disproportionnée (fonds propres utilisés pour acheter un bien commun), il peut demander une récompense ou une créance.
  • Le JAF veille à compenser ces apports personnels.

Un point souvent délicat concerne les dettes : certaines, comme le crédit immobilier pour la résidence familiale, sont partagées à égalité, d’autres restent personnelles (découverts bancaires individuels, dettes contractées sans l’accord du conjoint, etc.).

3. Les critères clés guidant la décision du tribunal

Contrairement à une croyance répandue, le partage ne vise pas forcément une stricte égalité « matérielle ».

  • Principe d’égalité : sauf convention différente, chaque époux reçoit la moitié du patrimoine commun.
  • Attribution préférentielle : le juge peut attribuer un bien (souvent la résidence principale) à l’un des époux, s’il en fait la demande et justifie d’un intérêt particulier (présence d’enfants, maintien dans le logement…). L’article 831 du Code civil encadre cette disposition.
  • La composition des lots : pour éviter la vente d’un bien, le tribunal peut attribuer une soulte (somme d’argent compensatoire) au conjoint qui reçoit un lot inférieur en valeur.
  • Edit de la date d’appréciation : sauf circonstances exceptionnelles, la valorisation des biens s’effectue à la date la plus proche de la liquidation, pas à la date de la séparation de fait.

Anecdote : Lors de certaines audiences en correction de lot, il est arrivé que le juge attribue la garde du chien à l’époux ayant la garde principale des enfants, ce qui illustre l’approche pragmatique et humaine du partage.

Le rôle central du notaire

Le notaire, professionnel incontournable pour la liquidation du régime matrimonial, intervient systématiquement lorsque des biens immobiliers sont à partager. Son intervention est obligatoire, comme le rappelle l’article 255-10 du Code civil.

  • Il procède à toutes les formalités d’établissement d’état liquidatif et de rédaction d’actes de partage,
  • Il veille à l’équilibre du partage,
  • Il informe sur la fiscalité applicable, comme les éventuels droits de partage ou l’imposition sur les plus-values immobilières.

Selon les dernières données de la Chambre des notaires de France, environ 60% des divorces impliquent au moins un bien immobilier nécessitant une telle intervention (Chambre des notaires de France).

La procédure pas à pas devant le tribunal familial

  1. Assignation en liquidation-partage : Elle est introduite soit lors du divorce, soit après, si le partage n’a pu se faire à l’amiable.
  2. Nomination d’un notaire : Le juge désigne un notaire chargé de dresser l’état liquidatif en cas de conflit.
  3. Rapport du notaire : Les époux disposent d’un délai de 6 à 12 mois, renouvelable, pour parvenir à un accord devant ce professionnel.
  4. Décision du JAF : Si le désaccord persiste, il statue – soit en validant la proposition du notaire, soit en organisant le partage autrement.
  5. Mise en œuvre du partage : Chacun reçoit son lot, une soulte si besoin, et le partage devient effectif par acte notarié et publication (notamment pour les biens immobiliers).

A retenir : Les délais peuvent être longs ; en 2023, une liquidation judiciaire complète prend en moyenne 13 à 18 mois dans les cas contentieux (source : Ministère de la Justice).

Questions spécifiques et cas particuliers

  • Le logement familial : Il bénéficie de mesures de protection. Même en cas de propriété exclusive, le juge peut, sous conditions, attribuer l’occupation temporaire à l’époux gardien des enfants, le temps de leur majorité (article 285-1 du Code civil).
  • Les entreprises et fonds de commerce : Le partage doit garantir la viabilité de l’activité professionnelle, ce qui nécessite parfois une expertise dédiée.
  • Les objets de valeur ou œuvres d’art : Ils sont souvent sujets à évaluation contradictoire pour éviter les abus.
  • Les donations et héritages reçus pendant le mariage : En principe exclus du partage, sauf clause contraire ou confusion des patrimoines.
  • Les comptes joints et l’épargne salariale : Ces éléments doivent être précisément tracés et justifiés auprès du notaire ou du juge.

Ce qu’il faut anticiper pour préparer la liquidation du régime matrimonial

  • Rassembler tous les documents relatifs à la propriété des biens (titres, attestations bancaires…)
  • Lister les dettes et crédits en cours pour éviter des déséquilibres lors du partage.
  • Évaluer, si besoin, les biens mobiliers et immobiliers de manière indépendante.
  • Se renseigner sur la fiscalité du partage pour éviter de mauvaises surprises au moment de la déclaration.
  • Anticiper, avec son conseil, les questions d’attribution préférentielle, notamment s’il y a des enfants mineurs.

Perspectives et évolutions

Le partage des biens reste l’une des étapes les plus techniques et les plus conflictuelles du divorce. À l’avenir, les propositions de réforme visent à moderniser le contentieux de la liquidation-partage en accélérant les procédures et en renforçant l’information des parties, par exemple via des mesures de médiation obligatoire préalables à toute saisine judiciaire.

Face à la diversité des situations, il demeure essentiel d’être bien préparé, d’anticiper les questions de preuves et d’évaluation, et de privilégier, chaque fois que possible, l’accord amiable. Le recours à un professionnel du droit, avocat ou notaire, est un atout pour éviter les impasses et pour trouver des solutions adaptées à la situation de chaque famille.

Pour approfondir :

En savoir plus à ce sujet :