09/11/2025

Prouver la propriété de ses biens au tribunal familial : quelles démarches et quels justificatifs ?

Pourquoi la preuve de propriété est déterminante lors d’un divorce

Lors d’un divorce, la question du partage des biens est souvent au cœur du contentieux. Que les époux soient mariés sous le régime de la communauté ou de la séparation de biens, il est systématiquement demandé à chacun de justifier la propriété des biens qu’il entend revendiquer. Cette exigence découle du principe posé par l’article 815 du Code civil : « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision » – autrement dit, lors d’une séparation, tout le patrimoine doit être soit partagé, soit attribué selon sa provenance et la preuve de la propriété.

La charge de la preuve pèse donc sur la personne qui affirme être propriétaire. En pratique, la présentation de justificatifs adaptés est essentielle pour que le juge puisse trancher en toute connaissance de cause. Mais alors, quels sont les documents et moyens de preuve admis ? Et comment constituer au mieux un dossier solide ?

Quels types de biens faut-il prouver ?

Avant d’aborder les différents moyens de preuve, il est utile de distinguer les grandes catégories de biens concernés lors d’un divorce :

  • Les biens immobiliers (maison, appartement, terrain)
  • Les biens mobiliers (meubles, véhicules, bijoux, œuvres d’art, etc.)
  • Les comptes bancaires, produits financiers et placements
  • Les entreprises, parts sociales ou actions détenues dans une société

La nature des biens conditionne le type de preuves à produire, mais dans tous les cas, il s’agit de démontrer soit l’origine propre (appartenance exclusive à un époux), soit la nature commune (bien acquis ou créé ensemble).

Les preuves écrites : pièce maîtresse de la propriété

La preuve la plus solide reste la preuve écrite, réclamée systématiquement par les juges lors d’un divorce (article 1359 du Code civil). Voici les justificatifs les plus fréquemment présentés, en fonction du bien concerné.

1. Preuves de la propriété immobilière

  • Titre de propriété (acte notarié) : Il s’agit de l’acte d’achat authentique signé devant notaire, mentionnant l’acquéreur (ou les acquéreurs) du bien immobilier. Cet acte fait foi de la qualité de propriétaire. À fournir absolument pour tout bien immobilier.
  • Attestation de propriété délivrée par le notaire : Utile en cas d’héritage ou de donation.
  • Relevés de la taxe foncière ou d’habitation : Ils ne valent pas titre de propriété mais peuvent appuyer une possession longue et paisible du bien.
  • Relevé du patrimoine immobilier auprès du service de la publicité foncière : Permet de retracer l’historique des mutations concernant le bien.

Exemple : Si Monsieur X a acquis un appartement avant le mariage et le prouve par un acte notarié à son nom seul, le tribunal reconnaîtra que ce bien lui est propre, même sous le régime de la communauté.

2. Preuves de la propriété mobilière

  • Factures d’achat nominatives (meubles, électroménager, véhicules, œuvres d’art) : Pour qu’une facture soit recevable, elle doit indiquer clairement l’acquéreur, la nature du bien, la date et le montant de l’achat.
  • Certificats d’immatriculation (cartes grises) : Pour justifier de la propriété d’un véhicule. Attention, en cas de co-titularité, la carte grise mentionne les deux noms.
  • État descriptif établi par huissier : Un constat de meubles chez soi, réalisé par huissier, peut éviter des contestations ultérieures, notamment si des biens disparaissent après la séparation.
  • Polices d’assurance (mentionnant les objets de valeur assurés et leur propriétaire).
  • Expertises ou certificats d’authenticité (bijoux, œuvres d’art, objets rares).

Astuce pratique : en matière de biens mobiliers, il est fréquent que la propriété soit contestée, en raison de l’absence de justificatifs. Pensez à conserver toute facture importante à votre nom, surtout avant tout conflit.

3. Justification des avoirs financiers et des comptes bancaires

  • Relevés de comptes bancaires au moment du mariage et à la date de séparation : Indispensables pour établir la titularité, notamment si vous déteniez des comptes personnels distincts ou si certaines sommes sont issues de fonds propres (héritage, vente de biens propres).
  • Contrats d’assurance-vie, livrets, placements divers: Récupérez les attestations de propriété ou relevés au nom du titulaire.
  • Tableaux d’amortissement des prêts ou justification de l’origine des fonds ayant servi à l’acquisition d’un bien : Pour prouver qu’un bien a été acquis avec de l’argent propre.

Exemple : En cas d’héritage reçu pendant le mariage, la preuve du caractère propre s’appuiera sur le certificat de notoriété ou l’attestation de dévolution successorale.

4. Titres et parts sociales en entreprise

  • Kbis pour les sociétés, extrait d’immatriculation
  • Statuts de la société mentionnant les associés
  • Registre des mouvements de titres
  • Actes d’acquisition ou de souscription

Point de vigilance : La propriété de parts sociales ou d’actions peut être contestée si leur acquisition a été financée par des fonds communs. Il faudra donc prouver, grâce à des mouvements bancaires et contrats, leur origine propre.

Les autres types de preuves : témoignages, présomptions, indices

Le Code civil admet la preuve par tout moyen en matière mobilière, dès lors que la valeur est inférieure à 1 500 € (article 1359). Au-delà, la preuve écrite reste primordiale, mais en l’absence d’écrit, le juge peut admettre des témoignages ou d’autres indices.

  • Témoignages (attestations art. 202 du Code de procédure civile) : Parents, amis, proches ou voisins peuvent rédiger une attestation circonstanciée sur papier libre, accompagnée d’une copie de leur pièce d’identité.
  • Photographies ou vidéos : Utile pour prouver l’existence d’un bien à une date donnée (par exemple, une voiture dans le garage maritale, des œuvres d’art dans le domicile conjugal, etc.).
  • Correspondance privée (courriers, SMS, mails) : À manier avec prudence, ces éléments peuvent révéler la volonté d’offrir un bien ou d’en reconnaître la propriété, à condition qu’ils ne soient pas obtenus de façon déloyale (attention au respect de la vie privée).
  • Présomptions de possession : Selon l’article 2276 du Code civil, « en fait de meubles, la possession vaut titre ». Celui qui a la possession du meuble est présumé en être propriétaire, sauf preuve contraire.

Exemple concret : Madame Z, qui occupe le domicile marital, a gardé tous les meubles du salon. En l’absence de facture d’achat, elle pourra s’appuyer sur la présomption de possession pour revendiquer leur propriété, sauf à ce que l’autre conjoint prouve le contraire.

Comment le juge familial analyse-t-il les preuves produites ?

Le juge aux affaires familiales dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer la propriété des biens, surtout en l’absence de preuve écrite formelle. Il peut tenir compte du mode de vie des époux, de la provenance des fonds utilisés, ou encore de la nature du bien.

  • Communauté légale (sans contrat) : Tous les biens sont présumés communs sauf ceux acquis avant le mariage ou par succession/donation, conformément à l’article 1401 du Code civil.
  • Séparation de biens : Chaque époux conserve la propriété de ce qu’il acquiert, mais il reste nécessaire de prouver qui a financé et à quel moment.
  • Biens mixtes ou financements croisés : Si un bien a été acquis en partie avec des fonds propres et en partie avec des fonds communs, la preuve du montant exact des apports devient cruciale : c’est la technique, parfois complexe, du « remploi » ou de la « récompense » (article 1437 Code civil).

Fait marquant : selon une étude de la Chancellerie (baromètre du ministère de la Justice sur les divorces, 2023), environ 28% des contentieux lors des divorces judiciaires concernent la contestation de la propriété d’un bien, contre 12% pour des litiges relatifs à des dettes. La preuve, mal anticipée ou incomplète, allonge considérablement la durée de la procédure.

Bons réflexes pour préparer un dossier de preuves solide

  • Réunir le plus tôt possible tous les justificatifs relatifs à vos achats importants
  • Effectuer un inventaire précis des biens mobiliers et immobiliers
  • Classer vos documents par catégorie : biens propres avant mariage, biens reçus par donation/succession, biens acquis ensemble durant le mariage
  • Solliciter, si nécessaire, un huissier pour établir un état des lieux ou faire consigner des preuves délicates (objets de valeur, collections, etc.)
  • Ne jamais présenter de faux documents : la fraude entache gravement la procédure civile et expose à de lourdes sanctions
  • En cas de doute ou de complexité (remploi, donations déguisées, sociétés, patrimoine important), accompagner votre démarche d’un conseil d’avocat ou d’un notaire

Rappel : en 2022, les notaires de France ont traité plus de 130 000 dossiers de liquidation de communauté après divorce (statistiques Notaires de France), preuve de la fréquence et de l’importance de bien préparer la question des preuves de propriété.

Quelques situations courantes et conseils pratiques

Situation Preuve à privilégier
Achat immobilier avant mariage Acte notarié, contrat de mariage, relevés de compte prouvant l'apport personnel
Voiture achetée pendant mariage Facture, carte grise, relevé bancaire du paiement
Bijoux offerts en cadeau Facture au nom du bénéficiaire, attestation du donateur, photos avec date
Héritage perçu en cours de mariage Attestation de notaire, relevé du virement, testament
Oeuvre d’art acquise via galerie Facture nominative, certificat d’authenticité du galeriste

Pour aller plus loin

Anticiper et documenter la propriété de ses biens est fondamental pour éviter les conflits et accélérer la liquidation du patrimoine après un divorce. Les preuves reconnues et valorisées par les juges sont surtout les actes notariés, les factures nominatives et les attestations bancaires. L’intervention d’un professionnel peut se révéler précieuse dans les dossiers complexes.

Pour plus d’information, n’hésitez pas à consulter les ressources du site service-public.fr, les guides des Notaires de France, ou à solliciter un avis personnalisé auprès d’un professionnel.

La bonne gestion des preuves joue un rôle décisif dans la défense de vos droits ; un dossier clair et bien documenté peut épargner des mois de procédure et préserver le dialogue, même dans les moments les plus délicats d’une séparation familiale.

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